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Kenya
Moyalē est un village à la frontière entre l’Éthiopie et le Kenya. Nous y croisons une famille hollandaise en Land Rover qui remonte dans l’autre sens. L’échange fut bref car ils étaient sur le point de quitter l`hôtel où nous nous apprêtions à bivouaquer. Juste le temps pour nous d’apprendre que le bitume s’arrête ici, et que leur vitesse était de 20 km par heure (information que nous avons reçu avec le sourire, notre camion étant tellement plus fort qu’une vulgaire voiture!), juste le temps pour nous de leur annoncer qu’ils ne pourront pas réparer leur véhicule avant Addis-Abeba.
Réparer? Vous avez dit réparer?
On se renseigne auprès du directeur de l`hôtel qui nous affirme que la route n’est pas revêtue, mais qu’avec un camion tel que le nôtre, à la vitesse de 40 km par heure, nous devrions atteindre la ville de Marsabit qui est à 250 km au bout d’une journée de piste. Le reste n’est ensuite que du bonheur!
C`est donc en toute confiance que nous nous engageons sur l`A2, l’autoroute qui relie les deux pays, la seule route possible quand on ne veut pas passer par le Sud Soudan ou la RDC pour se rendre dans les pays d’Afrique de l`Est et du Sud. Il est 10 heures du matin, les formalités à la frontière ayant été simplissimes… Nous n’imaginions pas qu’au-delà de cette ligne, c’est l’enfer qui nous attendait.
L’autoroute s’est avérée être une bande de pierres au milieu du désert. Aux pierriers se sont succédées des zones de tôle ondulée. Nous qui ne connaissons du 4x4 que la glissade souple dans le sable du Wadi-Roum ou du Désert Blanc, notre moral, nos nerfs et le camion ont été soumis en quelques heures à l’épreuve du feu.
Notre progression est lente. Beaucoup trop lente. Pour tenter de limiter la casse, nous avançons à la vitesse de 10 km par heure, bien au deca de ce qu’on nous avait annoncés. Et comment ils font ces camions locaux, chargés de marchandises et de passagers qui nous dépassent à la vitesse de 60 km/h dans un nuage de poussière et une volée de cailloux? Ils semblent voler, ne pas toucher le sol. Ils semblent engloutir, absorber la piste. Une ancienne image d’un film français en noir et blanc nous vient à l’esprit. Sur la tôle ondulée, il faut aller vite, le seul moyen d’annuler les chocs et les vibrations.
C'est pire. Bien pire! Le camion semble se démanteler. Entre risquer de passer plusieurs jours dans cet enfer ou de casser notre Chamaco, le choix est vite fait. Virginie se propose de prendre le volant. Nous nous relaieront tous les 10 kilomètres, soit toutes les heures!
Au bout de quelques heures, une lampe s’allume sur le tableau de bord. L`air. Une pierre a endommagé l’alimentation principale du camion. En attendant de pouvoir réparer au prochain garage, c’est sans freins à main, ni frein de parking, ni klaxon (mais ça on s’en fiche, il n’y a personne ici) que nous allons devoir poursuivre notre route. Le téléphone satellite sonne pour la première fois depuis notre départ de France. C`est Péric, le papa de Laurent, inquiet de ne pas avoir de nouvelles. Nous expédions la conversation, non seulement parce que nous sommes focalisés par la route et nos problèmes mécaniques, mais surtout parce que nous savons à quel point ces communications sont chères.
A l’issue de cette journée, nous n’avions progressé que de 120 kilomètres, la moitié de ce à quoi nous nous attendions. Il est 18 heures quand nous nous arrêtons, fourbus, dans un village de nomades. Une heure après avoir arrêté le moteur, nous ressentions encore les secousses et les vibrations du camion au bout de nos membres et dans le dos. Inutile d’espérer pouvoir réparer notre système d’air ici, il n’y a rien. Nous tentons d’assister des policiers en Land Cruiser qui ont cassé leurs suspensions qu’ils tentent de réparer avec des moyens rudimentaires. Nous faisons connaissance avec les habitants qui se montrent accueillants tout en restant distant et respectueux. Les enfants, tout sourires, s’approchaient, curieux, mais détalaient dès que nous leur tendions la main. Le Blanc semble rarement s’arrêter dans cette région…
Une deuxième journée de route s’annonce. Sous notre fenêtre, les bergers égorgent des moutons pendant notre petit déjeuner. C'est avec une immense appréhension et une boule au fond de la gorge que nous enlevons les calles sous le camion et nous nous installons au volant. Nous suivons le rythme de la veille : on change toutes les heures, tous les 10 km. Tous les 10 km précisément, car lorsqu’on conduit, on en est vraiment à 100 mètres près. Les enfants réagissent très bien et deviennent également les acteurs de cette aventure, sans (trop) se plaindre des secousses. Régulièrement Corentin égrène la progression. Ce n'est pas possible! Nous n’avançons pas! Nous avons les yeux accrochés à un GPS qui semble figé.
Les heures s’égrènent à ce rythme. Le camion fait de plus en plus de bruit. Cela semble venir du réservoir de gasoil qui doit cogner contre la carrosserie. D'ailleurs la porte d’accès commence à se fissurer… Nous finissons par gagner la ville de Marsabit. Bière fraiche et mécanicien qui s’active sur le système d'air contribuent à nous remonter le moral.
Sans pour autant offrir le bitume promis à Moyale, la route qui quitte Marsabit est agréable, lisse et fluide… au moins pendant les 50 premiers kilomètres! Puis c'est l'enfer qui recommence. La bonne nouvelle, c'est que le route qu'il nous reste à faire est moins longue maintenant que celle que l'on a déjà couverte jusque-là. Maintenant, chaque mètre parcouru nous rapproche de l'issue. Nous sommes condamnés à en sortir. Nous choisissons les pierres, consentons à en écraser les plus petites pour éviter celles qui nous semblent les plus grosses. C'est un peu comme une loterie. Il en va de même pour les trous. La solution la plus intéressante consiste à avoir deux roues dans le fossé, plus lisse, afin de mieux répartir les vibrations et tenter de gagner un peu de confort.
Un point positif. La ville de Marsabit est au milieu d'une réserve. La route nous donne l'occasion d'admirer des babouins, un groupe de vautours affairés sur la carcasse d'une gazelle et de faire la connaissance avec la tribu des Borana. C'est notre troisième jour sur cette route. A la nervosité s'ajoute maintenant la fatigue.
Puis soudain, vers 16h Corentin pousse un cri : ``Regardez!``. Une gazelle? Un autre suricate? Une autruche? Non. La route. LA route. Noire et neuve. Une route que les chinois viennent de finir et que nous sommes parmi les premiers à emprunter. Nous notons les coordonnées GPS. Au total nous aurons parcouru 404 kilomètres de cet enfer et je vous jure, ces 4 kilomètres additionnels comptent. Nous n'arrondirons pas.
Il est tard quand nous parvenons à la ville d'Isiolo. Nous nous faisons remettre en place par la police touristique. Mais qu'importe. Nous avons gagné! Nous décidons de nous offrir une nuit dans un bel hôtel de la ville, ainsi qu’un bracelet Borana, qui signifie à nos yeux que nous avons gagné nos premiers galons d'aventuriers. Ça peut paraitre ridicule, mais pour nous c’est porteur de sens. Nous savons que nous avons maintenant fait le plus dur de notre aventure, dont nous pouvons maintenant pleinement savourer. Ce bracelet symbolise la fin d’un itinéraire rectiligne, nécessaire et imposé par des raisons diplomatiques et administratives pour laisser la place à l’aventure et à l’improvisation. C'est ce que nous ont également confirmés les autres voyageurs en provenance d’Afrique du Sud que nous avons rencontré à Nairobi. Les kilomètres que nous avons couverts jusqu'à la capitale du Kenya ne sont qu'anecdotiques, si ce n'est la rencontre avec nos premières girafes.
Nous avions l'intention de nous rendre à Jungle Jonction, point de convergence entre tous les overlanders qui voyagent en Afrique où nous devrions pouvoir réaliser toutes les améliorations à apporter au camion, suite à notre expérience de maintenant 7 mois sur les routes.
Notre arrivée à JJ a été saluée par une bande de copains français rencontrés au Caire, puis recroisés au milieu du Désert Blanc, alors que nous attendions des secours. Ils avaient eu vent que notre aventure s'était arrêtée là. Nous avons également retrouvés d’autres aventuriers rencontrés à différentes étapes de notre voyage. Pour tous, notre arrivée a été une heureuse surprise. Nous avons fait la connaissance de la famille Coussinié qui voyage depuis 2 ans en Amérique et en Afrique en B90. Comme d'habitude, vous pouvez retrouver leur blog dans notre rubrique Liens. Les ``8 Semelles de Vent`` nous ont réservés un accueil extraordinaire et nous ont éblouis par tout ce que le monde moderne peut offrir, ici, à Nairobi. Nous étions depuis si longtemps sur les routes, que nous n'avions pas pris conscience que nous avions progressivement, renoncé petit à petit au confort, que nous glissions vers le dénuement; les pays traversés offrant successivement une douce transition vers un monde toujours plus pauvre et plus difficile. Le passage de cette route infernale à un hypermarché ultra moderne a été vécu comme un choc électrique, une décharge aveuglante. Nous avons frénétiquement remplis notre camion de fromages, de saucissons, de pastis, d`habits, et autres accessoires qui nous ont tant manqué, sans que l’on en s’aperçoive.
A notre arrivée à JJ, nous avons également petit à petit renoué avec les communications. C'est alors que nous avons appris, que, suite à son bref appel sur le satellite, Péric s’est ensuite renseigné sur la route. Sans le savoir, nous avions emprunté le cauchemar des aventuriers. Un bref appel à l'Ambassade de France à Nairobi a confirmé ses doutes. Cette piste est non seulement très mauvaise et déconseillée comme telle, mais surtout l'Ambassade préconise des déplacements en convoi armés pour faire face aux bandits. Il a tenté de nous rappeler pour nous prévenir. Notre satellite était alors sans batterie. Panique à bord! Il a ensuite rappelé l'Ambassade pour exprimer ses craintes, qui a elle-même tenté de nous contacter… bien évidemment en vain! Nous avons dû justifier auprès d'eux pourquoi notre satellite était inactif et nous promettons dès à présent à maintenir coûte que coûte la liaison avec Huston!
Et le camion, me diriez-vous? A l`heure où nous écrivons ces lignes, nous sommes toujours à JJ, et ce depuis 3 semaines maintenant. Chamaco subit une révision générale, car ici nous profitons des prix et des compétences de l’Afrique avec la disponibilité des produits modernes. Nous refaisons et optimisons toute l’électricité dans la cellule, nous mettons en place des rangements extérieurs sur mesure et surtout nous essayons de rendre l’ensemble du camion plus solide et moins exposé. Tout ce qui dépasse a souffert, depuis le store, jusqu'à l'échelle coulissante (Gérard, si tu nous entends…). Nous essayons de faire au plus simple, comme deux barreaux que l'on range derrière la porte pour remplacer l'échelle. Les suspensions du réservoir installé en Jordanie, bien qu'adéquates sur nos routes, n'étaient pas suffisantes pour cette fameuse piste. Le réservoir a non seulement tapé sur le châssis jusqu’à le fragiliser, mais a également cogné contre une vis. A peu de choses près, il aurait été percé et tout notre diesel se serait répandu sur cette route maudite…
Depuis que nous sommes à JJ, nous avons retrouvé presque tous les voyageurs rencontrés jusque-là (enfin ceux qui avaient l'intention de venir en Afrique!) et nous avons croisés beaucoup de personnes en provenance du Sud, pour qui l'accès à l’Éthiopie, au Soudan et à l’Égypte sont maintenant impossible. Nous avons l'impression de vivre un grand rassemblement familial!
En attendant, nous ne sommes pas restés inactifs, ici à Nairobi… Nous serons en mesure de vous montrer des images du Massai Mara prochainement. Vous ne verrez pas le Renault féroce, mais son cousin…
Nous récupérons Chamaco cette fin de semaine et reprenons notre route cette fin de semaine. Mais ceci est une autre histoire!
A voir – Le Salaire de la Peur!!!
Tags : kenya
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Commentaires
2TortugaJeudi 17 Février 2011 à 22:34Salut les Chamaco,
merci pour votre récit, ça nous rassure fortement! Merci pour la dédicace pneumatique ;-)
A très bientôt.
Bisous. On pense à vous!!
Manu3ANDREO&COJeudi 17 Février 2011 à 22:39arghh, j'ai oublié le leitmotiv incontournable (impardonnable !!!)
Profitez, et prenez soin de vous...4YannVendredi 18 Février 2011 à 15:13Ca fait bien plaisir de vous lire, et de continuer à suivre vos péripéties. Faudra éviter les itinéraires insolites pour la suite :)
Bonne route à vous, et profitez bien !!
Yann5GlapotinVendredi 18 Février 2011 à 17:27Que de nouvelles, sachant que pour vous ce fut des moments très très intenses, quel plaisir de vous lire. A la lecture de vos deux derniers récits, je me suis mis à imaginer les lecteurs au19 ème siècles qui découvraient chaque semaine dans leur journal les aventures des explorateurs de cette époque traversant les contrées encore peu connues, et étaient impatients de connaître la suite. Notre fille ayant eu le premier feu vert pour adopter un enfant d' Ethiopie via l'association Passerelle, sachant qu'il reste l'étape "Tribunal" de ce pays, nous étions impatients d'avoir voir votre sentiment sur ce pays. Nous ne pouvons maintenant que vous souhaiter de moments forts en émotion au niveau des rencontres animalières et des otoctones.6philounassVendredi 18 Février 2011 à 18:25Cela fait du bien d'avoir de vos nouvelles et quelles nouvelles! Bien le bonjour à la famille Coussinié rencontré en Amerique du Sud.
Les Philounass7natdepoixVendredi 18 Février 2011 à 22:24votre récit est surprenant merci pour les belles photos, je voyage à travers vous.Contente de revoir Corentin , Marine et Charlotte .A bientot .Bonne route8cousin jeanSamedi 19 Février 2011 à 23:05Dire que Siffrein nous disait avoir un peu mal au dos après les bosses de la piste rouge d'aujourd'hui ...
Demain on lui racontera votre périple, ça calmera ses douleurs.
Andreo exagère un peu, il reste de la neige en Savoie... tout près des canons.
Mais ça doit vous faire une belle jambe.
Très beau, le portrait du rhino.
Biz,
Jean
P.S. : il y a aussi un msg posté sur le coup de l'eau à l'équateur.9Jean BernardMardi 22 Février 2011 à 15:10Merci pour ces nouvelles et quel plaisir de vous lire. Les photos sont magnifiques et les récits font parfois trembler.
Prenez soin de vous et profitez.
Baisers10Macha et PatchoSamedi 26 Février 2011 à 20:127 mois de voyage, déjà......7 mois que nous vous suivons avec beaucoup de plaisir
Tout d'abord, un Grand Bravo à toute la famille Demanche !
Petits et Grands aventuriers prennent beaucoup de plaisir, mais savent aussi résister courageusement dans les moments difficiles inhérents à un tel périple.
Nous sommes avec vous, et comme le chantent les anglais : You never walk alone !
Vous voilà donc maintenant dans le Masai mara, où nous avions fait une escapade avec Macha.
Les Big Five Chamaco vont croiser les Big five animaux.
Nous sommes impatients de suivre votre long safari, qui va en fait se prolonger jusquà l'Afrique du Sud, beau programme en perspective ....
Candice, Alexandre, Macha et moi embrassons nos chers voisins, maintenant un peu éloignés, mais toujours très proches dans notre coeur.
Profitez bien, take care and on the road again.
Bises à vous 5
(Nous rentrons de Thailande après un "court séjour de 10 jours" très sympa)11AnaMardi 1er Mars 2011 à 22:25de plus en plus époustouflant ! et nous qui sommes à vous lire parmi nos cartons de déménagements ! Votre courage et votre persévérance vous honnorent. Bravo à Virginie pour les photos, je suis baba à chaque fois.
On vous embrasse. Anaïs et Olivier12les 5nierDimanche 6 Mars 2011 à 00:40Hello les amis,
On a froid dans le dos en vous lisant (ou plutôt mal aux cotes); incroyable, cette route cauchemardesque. Dire que vous auriez pu tomber en panne au milieu de nulle part... Prenez-soin de vous, on vous veut entiers dans 2 ans et demi!
Bises des 5nier13markusJeudi 10 Mars 2011 à 13:01En vous lisant, j'ai mal au dos et j'ai des courbatures!... Quel périple! Bonne continuation.
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En revanche, les photos des Borana sont tellement belles...leurs magnifiques colliers, et ces visages ...
Grosse fatigue ce soir, donc petit message seulement, pour vous remercier encore des nouvelles que vous nous donnez.
Juste quelques nouvelles d'ici : soyez rassurés de ne rien rater de la saison de ski : ici, le printemps est déjà presque là, il ne reste plus beaucoup de neige sur les sommets alors que les vacances de février n'ont pas encore débuté.
allez, zou, bisous et à bientôt pour un message plus costaud !!!