• Le soir tombe doucement sur la plage.

    Les rouleaux deviennent moins furieux. Ils semblent abandonner le combat et s'épuisent sur le sable dans une mousse d'écume.

    Un vol en formation serré de pélicans passe au dessus de ma tête. Au loin j’entends les cris des enfants qui jouent. Charlotte ne va pas tarder à revenir en pleurs.

    Virginie s'active dans son camion.

    Devant moi, la mer des caraïbes. Derrière moi, l'ombre protectrice du camion.

    Un jour ordinaire...

    Nous sommes à Santa Marta en Colombie. Il nous reste 3 semaines et 200 petits kils pour atteindre Cartagène, ou nous mettrons Chamaco sur un cargo et ou nous prendrons notre envol vers la maison. Nous sommes au bout de notre route.

    Chamaco. Un nom de code familial, une aventure, un site web, un camion.

    Chamaco, vieux camarade de voyage, fidèle compagnon de route, témoin de nos joies et nos pleurs, sources de nos angoisses, robuste, protecteur, familier, familial. Il est celui qui nous a mené si loin, si loin sur la Terre, si loin des sentiers battus et des itinéraires touristiques.

    Comme les vagues, nous abandonnons la lutte et nous laissons gagner par la farniente des tropiques. Nous avons le temps pour nous. Ce temps, si précieux, que nous avons voulu voler, mais que nous n'avons pas toujours su saisir. Peut-être notre programme était trop ambitieux. Je suis censé écrire sur l’Équateur. Mes pensées m'échappent. Elles remontent le temps. Elles globalisent. 2 années hors du temps mais dans l'espace. 60'000 kilomètres. 2 continents. L’Afrique du Nord au Sud et l'Amérique Latine du Sud au Nord. La route. Toutes sortes de routes. Vous n'avez pas idée.

    Dans le voyage, le temps s'étire, Il devient élastique. 2 ans. C'est assez long pour avoir fait de nous des nomades. Le lâcher-prise ? Certainement. En deux ans, nous avons vécu 1000 aventures et fait 1000 rencontres. Le temps se concentre. Les journées doublent, triplent. Je repense à ce petit village de Maurienne que nous avons dépassé lors des premiers tours de roue de notre voyage. Il s'appelait Argentine. Nous rigolions alors. C'est donc si facile d'aller en Argentine ? L'Argentine, ca doit maintenant faire au moins 3 ans que nous l’avons quittée, n'est-ce pas ? Ce petit village, j'ai l'impression que nous y sommes passés 10 ans auparavant. Nous sommes maintenant les enfants du monde. Nous sommes le monde. La route est devenue notre quotidien. Le camion notre cadre de vie, notre univers en boite.

    Puis le temps se fige, comme sur cette plage. L'attente commence. Un temps que nous recevons comme un trésor caché dans une boite fermée à clé. Un temps dont nous disposons, mais que nous ne savons pas saisir, trop préoccupés que nous sommes à occuper nos esprits, enfermés par les petits soucis du quotidien. Nous n'en saisirons la réelle dimension que plus tard, en évoquant cet épisode de voyage, en plongeant dans nos souvenirs, en regardant les photos.

    Au début de notre voyage nous avions l'habitude de dire : « certes, nous avons une petite maison, mais nous avons certainement un plus beau et plus grand jardin que le tien ». Aujourd'hui, la multitude de jardins possible a vaincu notre capacité à s'étonner sur le monde. Les photos deviennent plus rares, la fréquence des articles s'espacent. Il est temps de rentrer pour digérer cette accumulation de sensations. 2 ans. Tant de choses vécues et tant de choses manquées car nous n'avions trouvé ni le temps, ni l’énergie de les vivre.

    Les deux continents, nous ne les aurons pas fouillé entièrement, mais c'est sans regret. Cette aventure imparfaite est la notre. Elle est unique. Un nouveau voyage s'impose. Il sera plus lent, plus en profondeur. Lorsque nous posons la question aux enfants, seule la réponse de Charlotte va dans le sens du retour, là ou réside pour elle le vrai dépaysement. Marine et Corentin auraient voulu continuer à « vivre plein d'aventure », s'ils en avaient eu le choix. Ils sont toutefois très content de la perspective de retrouver leur maison et tous leurs amis.

    Même si nous sommes excités par la perspective de rentrer, de mettre en place une nouvelle vie, de nouveaux projets, on ne sort pas indemne d'une telle aventure. Je sens que la transition sera facile, mais je sais que le voyage aura une place de choix dans l'organisation de notre nouvelle vie. Rentrer pour mieux savourer le voyage. Rééquilibrer les priorités. Élaborer une recette dans laquelle le piment ne ferait que rehausser celui de la pomme de terre, sans constituer à lui seul un repas.

    Rentrer pour savourer l'exotisme, partir pour apprécier le confort du quotidien.


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